"Il nous faut apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir ensemble comme des idiots. Martin LutherKing
"Une société se définit en partie par ses
origines, son histoire, son évolution, certains évènements marquants
ainsi que le font les individus" et c’est ce que l’on appelle "la
mémoire collective".
Les origines, l’histoire et l’évolution de la société dont il est
question ci-dessus sont souvent déformées, falsifiées, pour justifier,
manigancer, comploter, une réalité qu’il ne s’agit plus d’aborder d’un
point de vue rationnel lucide qui ne manque pas de secouer les esprits
des idéologues de la société
qui sont généralement des démagogues à qui incombe la fonction de
légitimer les prises de position, les lignes de conduite et les
orientations de l’action sociale adoptées ou imposées. En effet, "la
mémoire collective n’est pas nécessairement l’histoire des historiens,
bien qu’elle s’en inspire. Mais elle doit simplifier, résumer, élaguer,
déformer, mythifier le passé ; à cette fin elle recourt abondamment au
symbolisme" et ce "symbolisme qui confère à l’homme son pouvoir sur le
monde n’est cependant pas le résultat d’une évolution biologique, mais
aussi d’une évolution sociale. Ce n’est que par l’interaction sociale
que l’homme a pu développer son aptitude à manier le symbole, tandis
que la société se faisait comme le dépositaire des symboles
accumulés."Une fois un symbolisme social rôdé, enraciné, ancré, bien
consommé, au sein de la société, il est difficile de l’en déloger sous
peine d’orage et de terrorisme intellectuel".
Le symbolisme qui a consisté, pendant des décennies, à marginaliser
la culture et la langue amazighes en les rangeant parmi les restes de
l’histoire au nom d’un idéal que l’on a sorti magiquement de sa poche
et qui ne repose pas sur des faits réels et solides, qu’ils soient
sociaux ou historiques, n’est que des croyances et des dogmes courants
chez certains individus de la société qui ne se donnent même plus la
peine de leur trouver des bases rationnelles qu’ils jugent inutiles.
Afin de démystifier, secouer et déloger ces idées négatives envers le
tamazight, notre langue nationale, il n’y a qu’à agir dans le sens
inverse car comme le dit le proverbe amazigh "unna ifestan hat ira",
"Quiconque se tait, fait vœux de consentement."
Le tamazight est avant tout une langue, une culture, qui est "un
ensemble lié de manières de penser, de sentir et d’agir plus ou moins
formalisées, qui étant apprises et partagées par une pluralité de
personnes, servent, d’une manière à la fois objective et symbolique, à
constituer ces personnes en une collectivité particulière et distincte.
"Une fois un individu passé par le moule d’une culture durant ses
années d’enfance, il ne peut plus être attaché qu’à la culture qui l’a
produit sous peine d’aliénation et de conditionnement artificiel, sans
que cela l’empêche cependant d’être ouvert à d’autres cultures et même
s’y intéresser.
Dans un univers qui a toujours été pluriel de tout point de vue,
ethnique, linguistique, culturel, à l’image de notre société, il est
primordial de cultiver la tolérance car " la question du pluralisme
semble en effet devenir une partie des tâches et des énigmes de la
civilisation elle-même". C’est donc une chance pour nous de nous
retrouver avec une pluralité de langues dont le tamazight est la plus
ancienne et la plus apte à nous raconter notre histoire. Sa vivacité,
son dynamisme et le fait de la voir encore vivante parmi nous après
tant d’épreuves, est une preuve éclatante qu’elle n’a rien perdu de sa
vitalité à défier le temps et les civilisations.
Les cultures se sont confrontées, se sont mêlées, se sont
fécondées, à un degré jamais atteint jusqu’ici. Ce fait est une
nécessité car, comme le dit si bien le célèbre généticien Albert
Jacquard, "il en est de même des cultures comme des organismes vivants
; isolées, renfermées sur elles-mêmes, elles s’atrophient, perdent tout
dynamisme créateur, se contentent de répéter inlassablement les mêmes
recettes et s’effondrent dans l’autosatisfaction et l’intolérance.
Confrontées à d’autres, elles peuvent se transformer, s’engager dans de
nouvelles aventures, explorer d’autres possibilités." Par conséquent,
l’uniformisation d’une société dans une culture et une langue uniques
en marginalisant les autres, l’élimination programmée d’une dimension
culturelle et linguistique nationale, ne peut que conduire à
l’appauvrissement de notre société à un degré tel qu’elle ne pourra
plus se revitaliser pour affronter les réalités plurielles du monde.
Il est donc trompeur de déclarer comme le fait, dans un élan
mystique qui ne repose sur aucun fait réel, l’auteur des lignes
ci-dessous en affirmant que "les dédoublements conflictuels sur les
terrains culturels, allument assez rapidement un incendie politique
dans la bâtisse. " C’est le contraire qui est vrai. C’est plutôt
l’uniformisation forcée, qui aliène les individus de la société en les
contraignant à être ce qu’ils ne sont pas, l’appel à la haine entre les
citoyens, qui risquent de provoquer des embrasements politiques
sanglants. En effet, l’appel à l’uniformisation et à la supposée
unification prêchée dans un univers intrinsèquement pluriel depuis des
millénaires, suppose l’aliénation, l’éclatement puis la disparition de
dimensions culturelles et linguistiques nationales qui ne manqueront
pas de provoquer la réaction de ceux qui se sentent atteints et menacés
dans leurs êtres profonds. La situation récente de la Yougoslavie, de
l’Algérie, l’atteste. En Yougoslavie, l’épuration ethnique et
culturelle voulue par certains pour imposer leur culture et leur langue
à d’autres, a fait une tragédie en provoquant des déchirements
sanglants sans régler d’aucune façon le problème qu’il avait supposé
vouloir régler, à savoir l’unification dans une langue et une culture
serbes uniques, et cela doit nous servir de leçon. Par conséquent, le
"dédoublement conflictuel" dont il est question ci-dessus, n’existe que
dans le cas où certains voudraient imposer à d’autres ce qui les
définit eux-mêmes et exclure le reste en usant de tous les moyens à
leur disposition.
Le pluralisme culturel et linguistique est une réalité quotidienne
dans de nombreux pays, telles que la Suisse et la Belgique, où la
tolérance, la liberté et la justice l’emportent sur la ferveur
idéologique creuse et qui pourtant ne vivent pas autant de déchirements
que certains pays où l’appel à l’unification culturelle, linguistique
ou religieuse, est des plus ardents car, dans les faits, chaque citoyen
sent sa dignité et son identité respectée et protégée par la
Constitution dans cette diversité qui ne nuit d’aucune façon à l’unité
mythique et imaginaire que l’on voudrait nous imposer en éliminant
certaines des dimensions culturelles et linguistiques nationales.
Souvent de tels personnages charismatiques, tel que celui
ci-dessus, font appel à la religion, au sacré, afin d’imposer leurs
opinions aux autres. C’est un mécanisme idéologique très efficace car
dès lors que l’on parle à une personne de religion et de Dieu, elle a
tendance à s’incliner et à accepter les opinions émises sans trop
discuter. Un exemple est l’appel à l’unification culturelle et
linguistique au nom de la religion musulmane. Une religion qui
s’adresse à l’ensemble de l’humanité, quelles que soient leurs races,
leurs cultures et leurs langues, une religion qui prêche la tolérance
et l’entraide entre les êtres humains en général, devient un moyen de
domination politique, culturelle et économique, au nom de Dieu, qui
profite à certains au détriment des autres.
Quant aux nationalistes panarabistes qui posent comme théorème à
démontrer le fait que les Imazighen sont des Arabes puisque "ce livre a
pour objectif d’établir l’arabité des Berbères. Le chercheur a fourni
un effort énorme pour montrer grâce à une argumentation ferme
"l’enracinement des Berbères dans l’arabité"", il n’y a qu’à les lire
ou les écouter pour s’apercevoir que leurs argumentations sont aussi
fragiles que leur appel à l’uniformisation totale du pluralisme
culturel et linguistique national, notre richesse collective. En effet,
"la défense de cette thèse avait nécessité de lui [l’auteur] d’aborder
divers domaines de la connaissance". Ainsi, il s’agit d’une thèse posée
a priori, et non pas un résultat d’une démarche de recherche académique
objective à laquelle un chercheur honnête et neutre a abouti grâce à
des efforts, mais au contraire comme une conclusion idéologique et
politique déjà prête et supposée véridique d’avance et qui nécessite de
l’auteur de lui chercher des justifications historiques, linguistiques,
culturelles, etc. Ce qui avait nécessité de l’auteur des efforts
surhumains, comme la présentation de son livre le dit clairement, afin
de donner des assises à une conclusion posée d’avance comme un théorème
qu’il s’agissait de prouver.
Chacun des arguments avancés par l’auteur comme justification de sa
thèse recèle une part de malhonnêteté scientifique. Chaque fois que la
citation est en faveur de sa thèse, il le dit avec insistance et dans
le cas contraire, il déforme, falsifie, afin d’aboutir à la conclusion
voulue. En effet, pour contrer " les ennemis de l’arabité " tous les
moyens, même les plus malhonnêtes scientifiquement, sont bons car les
Barghawata qui avaient pu fonder un Etat amazigh indépendant de toute
domination pendant quatre siècles au Maroc à l’encontre des idées
arabes courantes de l’époque, n’avait pas existé parce que "la région
au cours de sa longue histoire qui regorge d’événements majeurs n’avait
jamais connu un leader qui aurait appelé à l’unité nationale des
Berbères". Comment pouvait-on vérifier la véracité de ce "constat" si
chaque fois qu’un "ennemi de l’amazighité " écrit l’histoire dans un
but idéologique et avec un style digne des "colonialistes", nous ne
fournit que les informations qui l’arrangent, celles qui vont dans le
sens de sa thèse ?
Un autre, fait des efforts pour nous démontrer que les Imazighen ne
sont que des Cananéens, "de sorte qu’il [un autre auteur] insiste que
les Arabes amazighs de l’Afrique du nord sont d’origines cananéennes."
Quelle est la preuve ? Une comparaison linguistique (philologie)
simpliste empruntée au soi-disant docteur Ali Fahmî Khashîm, un
arabiste libyen, qui a utilisé une méthode digne d’un enfant pour
prouver une thèse aussi monumentale. Pour couronner le tout, il ajoute
: "Quant à la fierté des Arabes de l’arabité d’Ibn Khaldoun, de Tarik
Ibn Zyad, de Abbas Ibn Farnâs et d’Ibn Battûta c’est une chose très
naturelle." Donc la fierté des chrétiens de l’origine gauloise,
anglo-saxonne ou gothique de saint Augustin, de Juba II ou de
Massinissa est une chose très naturelle, mais également très bizarre.
La démarche idéologique qui consiste à prouver que les Imazighen
sont des Arabes est une recette colonialiste que les Français avaient
déjà essayée, après les Romains et tant d’autres, pour réduire la
dimension culturelle et linguistique spécifique aux Maghrébins à la
dimension culturelle dominante militairement et politiquement. Chacun
dans ses efforts pour arracher les faveurs des Imazighen à son camp
n’hésite pas à réécrire l’histoire selon ses objectifs idéologiques
établis d’avance en mettant en évidence ce qui l’arrange et en
dissimulant le reste. Soyons donc vigilants car de telles tentatives ne
font que dépouiller les Maghrébins de leur spécificité culturelle qui
n’est ni orientale ni occidentale mais une amazighité authentique
enracinée dans cette terre à jamais.
Je n’ai trouvé qu’un seul proverbe amazigh qui convient aux
"ennemis de l’amazighité" qui ont écrit à ce sujet et qui est "uras ili
imi timdelt ", "sa bouche fait défaut de fermeture". Puisqu’elle fait
défaut de fermeture, ils vocifèrent en disant tout et n’importe quoi
afin de nous convaincre, au nom d’un idéal creux et inventé de surplus,
de l’inutilité de poursuivre le combat qui consiste à éviter notre
ethnocide, ce qui est hors de question. La spécificité de l’identité
maghrébine, matérialisée dans l’amazighité qui est enracinée dans
l’histoire de l’Afrique du Nord et dans la réalité quotidienne de
millions de gens sur des milliers de kilomètres et depuis des milliers
d’années, ne pourra pas disparaître d’un coup de baguette magique sans
laisser de trace et sans remuer la société à tous les niveaux.
Article rédigée Par: Aicha Ait-Hammou.