Le standard du tamazight, quelle langue et pour quel avenir ?
Un
bon alphabet est nécessaire mais il n’est pas suffisant pour une bonne évolution
d’une langue. Cela nécessite également que le standard du tamazight qui
sera proposé reste collé à la réalité linguistique des gens et qu’il ne
soit pas vomi par des « techniciens linguistes » dans le
but de construire une nouvelle langue destinée à des gens « cultivés »
et à laquelle ma grand-mère ne comprendra rien du tout. Ces gens « cultivés »
parleront entre eux un jargon et se feront la grosse tête devant les petites
gens qui n’y comprendront rien du tout. C’est un problème social majeur,
chez-nous, que les gens scolarisés se considèrent comme étant des élus de
la société parce qu’en fait, ils avaient fourni des efforts considérables
pour apprendre sous la pression physique et psychologique de leurs « éducateurs ».
Mais c’est un autre problème.
Dans
ce standard, les informations télévisées ou les journaux ne doivent pas être
un code incompréhensible que seuls les gens qui étaient à l’école seront
capables à peine de déchiffrer. Ce sera mettre le tamazight dans une cage de
laquelle elle ne pourra jamais sortir. La langue doit rester accessible au
langage de la rue afin de demeurer vivante. La sortir de la rue, la confiner
dans des livres, sera la condamner à ne plus évoluer qu’au bon vouloir de
certains spécialistes qui seront des prophètes de la linguistique
amazighe. Ces derniers se feront un grand plaisir d’être les détenteurs de
la vérité absolue, de la connaissance suprême, en matière du tamazight.
Ils seront là pour informer les gens ignorants et s’accapareront les postes
et les positions qui lui seront destinés.
Cependant,
ce standard ne doit pas être non plus une simple transposition de la langue
de la rue qui est actuellement pleine de mots empruntés à d’autres langues
dont l’arabe, le français, l’espagnol, etc. Il doit s’inspirer de l’héritage
linguistique énorme du tamazight, qui reste d’ailleurs à réunir, à
classifier, à comprendre, avant son utilisation par les vrais spécialistes
qui nous aideront, grâce à leurs efforts positifs, à donner une nouvelle
impulsion à notre langue en vue de la rattacher au monde moderne dans tous
les domaines et plus particulièrement au domaine de demain qui sont les
technologies de l’information, qui englobent bien évidemment l’ensemble
des disciplines de ce secteur d’activité humaine.
Arguments en faveur de l’alphabet latin universel
Arguments politiques et économiques
1.
L’alphabet latin est universel
et la civilisation occidentale a imposé au monde qu’on le veuille ou non,
par sa force, des valeurs et des bouleversements très profonds, non seulement
dans les domaines techniques et technologiques, mais également dans les
domaines des valeurs sociales, culturelles et dans le domaine économique. Même
si l’on est idéologiquement, car il n’y a plus aucune autre raison,
contre l’Occident, nous ne pouvons pas éviter l’interaction sociale et économique
entre les sociétés à part si nous voulons nous confiner, nous cacher, nous
protéger, dans notre coin de peur d’être agressé par des fantômes
imaginaires que nous avons du mal à identifier, à la place de les affronter.
Nous voulons les technologies et leurs bénéfices mais nous refusons les gens
qui en sont les maîtres.
2.
La candidature du Maroc auprès de
la Communauté Économique Européenne nous apprend que dans l’avenir nous
aurons à nous ouvrir vers l’Occident contrairement à ceux qui préconisent
une fermeture des frontières et des aéroports pour nous protéger de je ne
sais plus quel danger. Le choix de l’alphabet latin va donc dans le sens
d’un choix stratégique global que le Maroc a adopté dans d’autres
domaines car traiter avec la communauté européenne n’est pas une pure opération
économique. En effet, cela implique également des considérations sociales
et culturelles dont l’immigration est la plus évidente.
3.
L’utilisation de l’alphabet
araméen nécessite d’ajouter à ce dernier, d’après l’amazighizant
Karl Prasse, des caractères spéciaux pour la prise en compte de toutes les
spécificités et toutes les subtilités du tamazight. Cela veut dire la
fabrication de nouvelles machines à écrire adaptées aux nouveaux caractères,
le développement de nouvelles plates-formes logicielles et matérielles en
matière des technologies de l’information afin de mettre les moyens
modernes de communication au service du tamazight. Des coûts considérables
avec aucun gain notable.
4.
D’autres pays, tel que le Mali,
utilisent déjà l’alphabet latin pour transcrire le tamazight. L’Algérie
où le tamazight est enseigné dans certaines universités, telle que
l’université de Tizi-Ouzou ou de Bejaia, utilisent également l’alphabet
latin pour dispenser ses cours en tamazight. Choisir un autre alphabet c’est
aller à l’encontre des tendances internationales en matière du tamazight, car tamazight est
une longue internationale dans le sens où elle est parlé dans de nombreux
pays. L’on peut prétendre que cela ne nous regarde pas ici au Maroc, mais
dans un moment où la mondialisation est un processus inévitable, et on le
voit bien avec les événements du 11 Septembre à New York, le tamazight dans
notre pays se verrait restreindre les chemins de la liberté. Les recherches
académiques en matière du tamazight dans les autres pays nous seraient
inaccessibles qu’à la suite d’efforts supplémentaires, les relations
scientifiques avec les autres centres de recherche réduites au minimum
absolu, etc.
Arguments linguistiques
1.
L’Alphabet tifinagh est un
alphabet phonétique très ancien et il a été conçu d’une manière étrangement
proche de l’alphabet latin. Le choix d’un alphabet techniquement loin du
tifinagh aura des répercutions sur l’évolution et le développement du
tamazight. Trop d’ambiguïtés ne seront pas résolues qu’au prix d’un
grand effort humain et financier qui sont par ailleurs inutiles.
2.
Nous savons que le tamazight est
une langue agglutinante contrairement à l’arabe par exemple. Le tamazight
utilise également la préfixation et la suffixation : Des techniques
linguistiques dont l’alphabet latin a fait ses preuves avec les langues
romanes (une branche des langues indo-européennes, dont le français,
l’allemand ou l’anglais sont des exemples.) L’utilisation des caractères
araméens obligeront, tôt ou tard, ces caractéristiques, fondamentale pour
l’avenir du tamazight, à disparaître à moins d’un effort linguistique
supplémentaire. Pour une langue agglutinante, tel que le tamazight, il faut
un alphabet qui a déjà fait ses preuves dans ce genre d’expérience.
L’alphabet latin est adapté aux langues agglutinantes tels que le français
et l’anglais et il sera adéquatement adapté au tamazight.
3.
L’absence de voyelles dans
l’alphabet araméen (juste trois voyelles longues alors qu’il en faut six
d’après Karl Prasse), en tant que lettres, pose un énorme problème de
transcription comme nous l’avons vu dans les exemples ci-dessus. Karl Prasse
préconise qu’il faut de nouveaux caractères spéciaux à tamazight pour
qu’il soit écrit avec l’alphabet araméen. Par contre, l’alphabet latin
est universel et il sert déjà à écrire des milliers de langues. Une
batterie de caractères spéciaux a déjà été développée et prête à
l’utilisation, ils sont disponibles sur le matériel technologique et ne nécessitent
pratiquement aucun investissement humain ou financiers inutiles. Il y a évidemment
des adaptions à faire au tamazight mais cela sera de l’ordre du dérisoire
en comparaison avec le matériel à développer avec un autre alphabet,
qu’il soit araméen ou tifinagh.
Arguments
scientifiques et technologiques
1.
La recherche académique dans le
domaine du tamazight est mondiale. Il existe des universités de part le monde
qui travaillent sur tous les domaines amazighs, la linguistique, l’histoire
jusqu’à l’anthropologie; aux État-Unis, en France, au Canada, au Japon,
etc. L’ensemble de ces établissements utilisent pratiquement tous
l’alphabet latin pour transcrire le tamazight. L’utilisation d’un autre
alphabet confinera les recherches académiques au niveau national dans leur
coin sans aucune communication avec les autres et sans aucune prise en compte
des recherches étrangères que moyennant des retranscriptions. Cela n’aider
pas le développement naturel du tamazight et ne l’aidera pas non plus à bénéficier
du travail de recherche déjà effectué par d’autres. L’utilisation de
l’alphabet déjà utilisé par d’autres permettra une communication plus
accrue et plus efficace avec les autres établissements, avec les autres
chercheurs. Ce sera de l’argent de gagné à la place d’engager de
nouvelles recherches dans des choses déjà trouvées depuis longtemps.
2.
L’écriture de droite à gauche.
Une adaptation est toujours possible aux technologies modernes mais difficile
pour les logiciels courants. Bien sûr cette adaptation, comme toute autre
adaptation, est toujours possible mais son coût est exorbitant et un travail
supplémentaire doit être fait afin de rendre utilisable des logiciels par
rapport à l’adaptation requise pour une transcription latine du tamazight.
3.
Le traitement automatique de la
langue naturelle elle-même est au cœur de la technologie de l’information :
La traduction automatique, la lecture automatique de documents (la
reconnaissance des formes), la saisie et le traitement automatique de
dictionnaires, etc. Dès demain, le problème de la saisie et du traitement
automatique de l’ensemble du lexique du tamazight dépendra de l’alphabet
utilisé. Dès demain, il faudra des ordinateurs pour traiter et manipuler les
mots du tamazight pour les mettre à la disposition des chercheurs pour des
recherches académiques, pédagogiques, etc. Dès demain, il faudra des coûts
exorbitants et des moyens humains considérables pour accompagner la mise en
place et la mise au point des logiciels correspondants, à la place d'aller
prendre un alphabet beaucoup plus facile, beaucoup plus adapté et beaucoup
moins coûteux. Nous pensons sincèrement que la raison doit l’emporter sur
les penchants idéologiques.
4.
L’utilisation de l’alphabet
latin n’engagera que peu de coûts pour adapter les logiciels courants à
tamazight. Cela se passera comme entre l’anglais et le français avec ses
différents caractères ayant des accents. Ce qui coûtera moins cher au futur
Institut Royal pour la Culture Amazighes (IRCA). Prenons un exemple pour être
concret. Le système Word de Microsoft pourra facilement passer de l’anglais
à tamazight avec l’alphabet latin contrairement à l’alphabet araméen. Ce qui représente un gain économique considérable et le logiciel
pourra être disponible en beaucoup moins de temps. Avec l’alphabet araméen
ou tifinagh, il faut mettre sur pied des entreprises spécialisées dans le
traitement automatique du tamazight, dans la production de logiciels et du matériel
spécialisé pour le tamazight. Ce sont là des projets économiques cachés
que les partisans d’un autre choix cherchent à accaparer en leur faveur.
Arguments pédagogiques
1.
La graphie adoptée par une langue
comme alphabet est d’une importance capitale et primordiale dans
l’apprentissage de cette langue et dans son évolution auprès des gens qui
s’y intéressent. Une langue inutilement compliquée dans sa graphie, dans
les ambiguïtés de son écriture, n’aidera pas les gens à s’y intéresser,
même ses propres locuteurs. Par conséquent, elle est vouée à ne pas être
au centre de l’intérêt dans beaucoup d’activités sociales et économiques.
2.
Le prix payé, en énergie
psychologique, par l’apprenti d’une langue est pertinent pour déterminer
le degré d’intérêt et l’énergie que l’intéressé sera prêt à
mettre pour continuer à s’intéresser à cette langue. Or la graphie dans
le processus d’apprentissage est fondamentale. C’est un ensemble de
symboles qui n’ont pas uniquement comme fonction de transcrire les mots
d’une langue sur le papier mais ils sont également des symboles ayant une
valeur psychologique qui s’intègre aux fonctions inconscientes. Le degré
de la difficulté rencontrée à les apprendre peut être en défaveur du
processus de l’apprentissage dans les niveaux scolaires supérieurs. Par
contre, une graphie logique, claire, sans ambiguïté, sans difficulté, crée
un climat agréable et favorable à l’apprentissage. La graphie elle-même
doit être conçue, non pas comme une fin en elle-même avec des difficultés
insurmontables, mais comme un simple moyen pour apprendre autre chose.
Cependant, ce moyen doit être le plus efficace, le plus clair et le plus
logique possible.
3.
Pour être une graphie claire et
logique, par conséquent facile à apprendre, une graphie doit refléter
visuellement l’ensemble des caractéristiques des mots de la langue. Les
choses doivent être explicites et apparentes sur les transcriptions et non
pas rester en suspens, dans l’air, en laissant le soin à l’apprenti
d’acquérir et d’intégrer un minimum de compétence dans cette langue
avant de pouvoir les assimiler. Écrire le tamazight avec un alphabet dont la
quasi-totalité des voyelles est absent, c’est réclamer de l’apprenti
plus d’effort et d’imagination. Ce qui est négatif pour l’apprentissage
lui-même. Par contre, un alphabet complètement explicite, avec des consonnes
claires, des voyelles adaptées à toutes les situations, sans ambiguïté,
aide l’apprenti à voir graphiquement, visuellement, ce qu’il est en train
d’apprendre à la place de l’imaginer, et l’on sait l’impact
psychologique de l’image dans le processus d’apprentissage et de la
consolidation des idées dans la mémoire humaine. Une image vaut mille mots,
comme on dit, et c’est exactement le cas de l’alphabet qui n’est à
première vue que des images pour un enfant qui commence à apprendre la
lecture car, pour lui, ces graphiques n'ont pas encore une valeur à caractère
psychologique, comme chez l’adulte. Par conséquent, pour un enfant qui
apprend l’alphabet pour la première fois de sa vie, les images (أ)
et
(إ)
son
pratiquement identiques par rapport à la différence qu’il y a
entre (a) et (i) qui sont
nettement et explicitement deux lettres différentes. Il ne s’agit donc pas
d’un penchant idéologique ou du fait d’être habitué ou pas avec un
alphabet ou un autre. Il s’agit objectivement d’être le plus explicite,
le plus clair et le plus logique possible. Un alphabet inutilement compliqué
et non complètement explicite ne fera pas des enfants heureux et épanouis,
et encore moins des savants et des inventeurs.
Compte
tenu de l’ensemble de ces arguments, choisir un autre alphabet ne relèvera
que d’un penchant idéologique machiavélique visant à manipuler un
patrimoine culturel et linguistique national dans un but autre que de servir
le tamazight et les citoyens qu’il intéresse. Un autre choix sera considéré,
parce qu’inadéquat et non fondé sur des faits réels et scientifiques,
comme étant une machination contre l’ensemble du patrimoine linguistique et
culturel amazighs. Ce sera déclarer le sacrifice suprême (la mort) de ce
patrimoine et lui préparer des embûches, des pièges et des obstacles afin
de l’enterrer vivant dans un alphabet inutile et inutilisable que moyennant
des efforts humains et financiers considérables, et dont on sait qu’ils ne
sont pas à la portée du patrimoine financier actuel du tamazight.
Par
conséquent, à la place de faire de la démagogie, de prendre des décisions
hâtives, arbitraires et non fondées sur des faits avérés et fondamentaux,
soyons plutôt plus objectifs et regardons les choses en face afin de nous
doter d’une écriture qui permettra à notre langue nationale d’accomplir
sa mission sociale et économique que SM le roi, que le bon Dieu fasse qu’il
aille au terme de sa mission, a bien voulu lui permettre dans un Maroc
moderne, démocratique et libre. En bref, un pays démocratique et de droits
de l’Homme.
Les décisions d’aujourd’hui sont des choix irréversibles de
demain
Le choix d’aujourd’hui est un choix qui sera irréversible demain. Une fois que les manuels scolaires, les dictionnaires, les ouvrages littéraires, développés, il ne sera plus possible de changer l’alphabet à moins d’engager des moyens financiers et humains considérables. La Turquie était capable, au début de ce siècle, de changer l’alphabet de sa langue en adoptant l’alphabet latin à la place de l’araméen à cause justement de son inefficacité, mais c’était tout un État qui s’était mobilisé et engagé dans ce processus gigantesque. Prenons donc de sages décisions dans l’objectivité et loin de toute idée idéologique subjective.
Des gens pourront peut-être se demander, mais quelle relation existe-t-il entre le tamazight et les technologies de pointe ? Quel rapport peut-il exister entre de vulgaires dialectes et une technologie de haut niveau ? Nous disons simplement que le tamazight est une langue de l’avenir si les choix d’aujourd’hui sont bien faits en dehors de toute considération idéologique et en se basant sur des faits scientifiques. Nous faisons confiance à l’avenir et il suffit de donner les moyens et le temps à tamazight pour démontrer ce qu’elle est capable de faire. Dès demain, l’IRCA devra se doter d’ordinateurs et de Bases de Données spécialisées (BD) dans la manipulation des données linguistiques ayant trait par exemple au lexique, à son traitement automatisé, à sa manipulation et à son partage entre les chercheurs du monde entier par l’intermédiaire du réseau Internet. Cela facilitera considérablement les recherches linguistiques amazighes. C’est lorsqu’on s’apprêtera à mettre en place cette base de données, que le rôle, l’importance et la pertinence de l’alphabet apparaîtront avec une évidence aveuglante.
Pour conclure, nous considérons qu’en dehors de tout penchant politique et partisan, qu’en dehors de toute préférence idéologique, si nous prenons la peine d’analyser concrètement la situation avec un esprit impartial et libre de tout jugement préparé d’avance, nous constaterons assez aisément que le choix de l’alphabet latin est le meilleur choix pour servir les intérêts du tamazight. Un autre choix cache sûrement autre chose que la pure cause amazighe.
Aïcha Aït-Hammou